Τετάρτη 26 Φεβρουαρίου 2014

MARC MARCEAU: LA NUIT DES COLONELS



Malaparte est dépassé, les théoriciens de la violence devront être relus à la lumière de cette nouvelle expérience, dans la technique du coup d'Etat, que fut la nuit des colonels. La vérité est que cette image très évocatrice n'est pas tout à fait exacte. La Junte militaire qui lança ses dés dans la nuit du 21 avril 1967, n'était pas seulement composée de colonels et lieutenants-colo­nels, mais d'officiers allant du grade de capitaine à ceux donnant droit à cinq galons. Le nombre exact de ces officiers et leur identification demeurent inconnus. Ce qui illustre bien l'hermétique secret qui protégea leur conspiration et qui, finalement, leur permit de réussir.
Des trois conditions essentielles à la réussite d'un coup d'Etat, deux étaient remplies : l'existence d'un climat psychologique émollient, la résolution d'un petit groupe bien décidé à risquer le tout pour le tout, et même à affronter l'aube glaciale des exécutions qui salue ceux qui échouent. Restait la troisième des conditions : l'occasion, la possibilité de frapper, le moment venu, à l'endroit voulu.
Etant bien entendu que de ces trois conditions essentielles c'est la quatrième qui est toujours la plus décisive : la chance. Le plus petit grain de sable dans la plus belle des mécaniques, le plus petit imprévu et c'est l'échec. La chance ne sourit-elle pas aux audacieux ? Et l'histoire n'est-elle pas faite par des minorités énergiques, fanatiques, voire illuminées ? De toute façon, cette nuit du 21 avril 1967, la Fortune n'avait pas de bandeau sur les yeux et sourit à ceux qui pouvaient tout aussi bien se retrouver au pouvoir que devant un peloton d'exécution.
Nous avons vu que, contrairement à juillet-août 1965, où la colère populaire et les réactions de l'opinion rendaient difficile et aléatoire toute tentative de dictature, en ce début de 1967, le climat psychologique général n'était pas de ceux qui provoquent un indigné : « Pas possible ! » mais plutôt de ceux qui expliquent un consterné : « Cela devait arriver. »
D'autre part, il existait dans l'armée, mais aussi dans les autres armes, parmi des officiers n'appartenant pas à cette aristocratie légitime, si souvent formée par les généraux et les officiers supérieurs issus des classes sociales les plus favorisées, un groupe bien décidé à en finir avec un ordre politique considéré comme périmé. Ces officiers se trouvaient conditionnés par le même processus psychologique qui marqua si profondément notre officier imaginaire, Jean Costakos.
Pour pouvoir réussir, ce groupe ne pouvait être que très peu nombreux, fermé comme une huître, étranger à tout effort de prosélytisme et surtout sans aucun contact avec les milieux politiques, même d'extrême-droite. L'affaire Aspida avait dégagé une leçon fondamentale : tout groupe militaire en liaison avec des politiciens ne pouvait prétendre au minimum de clandestinité indispensable pour poursuivre une action plus ou moins révolutionnaire. La grande force de la Junte fut que d'une part elle eut pour chefs des officiers spécialistes des réseaux clandestins et de l'action psychologique, comme les colonels Papadopoulos et Makarezos et que, d'autre part, elle tria d'une façon drastique, sans la moindre considération sentimentale ou affective, les officiers engagés dans son action. Tant il demeure vrai que la victoire ne sourit pas aux gros bataillons mais à la petite unité, assez téméraire pour braver les lois de la logique et du rapport des forces.
De subtiles et épaisses cloisons étanches isolèrent la Junte des milieux politiques toujours prêts à trop bavarder, mais aussi de chefs militaires qui, fidèles à la Couronne, envisageaient une autre forme de dictature.
La Junte, la vraie, ne croit pas à la « solution royale », ne veut pas d'un « husseinisme» à la grecque, ni d'un gouvernement à la Hassan II. Elle estime que le monde politique, dans tout son éventail, a fait faillite et qu'une dictature militaire ne doit pas viser à sauver un ordre politique et social responsable du chaos et de l'affaissement de l'Etat. Pour la Junte, un coup de force doit provoquer un renouveau politique, moral et social. Elle pense qu'il est impossible de redresser un bossu.
Résolue à passer à Faction, elle attend que se présente l'indispensable occasion, et l'occasion se présente.


Tout d'abord, l'annuel Marathon de la Paix devait avoir lieu le dimanche 16 avril. Il fut interdit par le gouvernement Canellopoulos et ses organisateurs avaient décidé son ajournement. Entre-temps, les forces de la région militaire de l'Attique et des Iles avaient été renforcées. Des unités avaient été transférées de Thèbes, de Larissa et des îles de l'Egée dans la région de la capitale. Ces transferts avaient été décidés en vue du Marathon de la Paix et avant que son ajournement ne fût rendu public par ses organisateurs.
Dans les jours précédant le putsch, le ministre de la Défense nationale, Panayoti Papaligouras, avait réuni au Pentagone, à Athènes, une commission présidée par le général Spandidakis, chef d'Etat-Major général de PArmée, chargée de régler des problèmes de promotion. Cette commission comprenait ces généraux :
Dionysos Arbousis, sous-chef d'Etat-Major général de l'armée.
Georges Andriotis, sous-chef adjoint de l'Etat-Major général de l'armée.
Vassili Marandos, inspecteur de l'armée.
Georges Zoitakis, commandant le IIIe corps d'armée à Salonique.
Constantin Kallias, commandant le Ier corps d'armée à Verria.
Jean Manetas, commandant le IIe corps d'armée à Kozani.
Jean Katsadimas, commandant le groupe de corps d'armées dont l'état-major était à Larissa.
Christo Papadatos, commandant la région militaire de l'Attique et des îles.
Odysseus Anghelis, sous-chef de l'Etat-Major général de la Défense nationale.
L'amiral Afgheris, chef de l'Etat-Major général de la Défense nationale, membre de la commission, ne participa pas à ses travaux.
Tout comme les leaders politiques se penchaient sur le casse-tête chinois de la composition des listes électorales, à Athènes, les chefs militaires se débattaient dans le labyrinthe des tableaux d'avancement.
La discipline constituant la force principale des armées, et la peur des responsabilités, le manque d'initiative se trouvant aussi fort dans les cadres militaires que dans les administrations publiques, l'armée, privée de ses chefs, pouvait difficilement réagir et contrer un putsch mené par un groupe de ses officiers.
Techniquement, le coup d'Etat ne pouvait se faire que pendant la présence à Athènes des chefs militaires grecs. L'action devait être déclenchée dans la nuit du 21 avril. Qu'un ou plusieurs généraux rejoignent leurs postes de commandement et tout était remis en question.

L'occasion existe. Il s'agit dès lors de frapper, avec la rapidité de la foudre, le seul endroit permettant de déclencher le putsch : le Pentagone.
Tout le plan de la Junte repose en effet sur l'application « arbitraire » d'une opération présentée sous divers noms relevant de la mythologie et dont nous ne retiendrons que celui de Prométhée. Il s'agit d'une sorte de plan Z, mis au point avec les services de l'Otan, adapté aux conditions particulières à chaque pays membre de l'Alliance atlantique et périodiquement révisé. Pour ce qui est de la Grèce, il semble que le plan Prométhée fut révisé à Paris, en 1964, lors d'une conférence militaire de l'Otan.
Ce plan prévoit les mesures à prendre pour neutraliser une action subversive, une tentative de révolution, des troubles provoqués par les communistes et leurs éventuels alliés. Etant donné la confusion et l'agitation qui régnaient en Grèce, le déclenchement de ce plan ne pouvait étonner ou surprendre ceux qui furent invités à l'appliquer. Seulement, toute l'opération, minu­tieusement réglée par les chefs de la Junte ne pouvait réussir que si:
— les blindés participaient à l'action ;
— le Pentagone était occupé.


N'appartenant pas à la Junte, le brigadier Stylianos Pattakos qui commandait l'Ecole d'application des blindés constituait la clé du succès ou de l'échec de tout coup de force militaire. Rallié au putsch, il lui assurait la redoutable et irrésistible puissance de ses chars. Dans le cas contraire, l'affaire se compliquait dangereusement pour les conjurés qui auraient dû soit neutraliser le brigadier Pattakos, soit subir l'écrasante réaction de ses unités.
Le brigadier Pattakos se laissa convaincre, harangua ses tankistes et les lança à la conquête de la capitale.
Rassurés, les chefs de la Junte n'avaient plus qu'à occuper le Pentagone. Il suffit d'un petit commando pour escalader les murs et les grilles du ministère de la Défense nationale, pour désarmer la garde et permettre l'occupation des bureaux et locaux d'où devaient, obligatoirement, partir les ordres déclenchant le plan Prométhée.
Un peu après minuit, cette partie de l'opération était terminée.
Le roi étant tenu à l'écart et dans l'ignorance de l'opération en cours, le putsch, pour réussir et sur­tout être suivi par les unités militaires qui ne se doutaient de rien, avait besoin tout d'abord d'un aval sur le plan militaire, puis d'une légitimation a pos­teriori. Le général Spandidakis, qui habitait à cent mètres du Pentagone, devait avaliser l'opération et, plus tard, le roi devait couvrir, ou faire couvrir, le coup d'Etat.
Placé devant le fait accompli, se rendant compte que les putschistes étaient décidés à aller jusqu'au bout, le général Spandidakis auquel la présidence du nouveau gouvernement avait été offerte, décida de participer au coup d'Etat. Dès ce moment, la couverture était assurée. Quand diverses unités, alertées par les ordres envoyés du Pentagone, demandèrent par radiophonie et l'intermédiaire du puissant poste de l' état-major du IIIe corps de Salonique, confirmation des instructions reçues, le général Spandidakis répondit lui-même aux questions posées. Il confirma les ordres donnés, apportant ainsi toute son autorité au coup d'Etat. Dans l'impossibilité de contacter le roi ou des membres du gouvernement, l'appareil militaire et policier mis en route ne pouvait que s'en tenir aux ordres émanant du Pentagone.


Convoqués, sous le prétexte d'une réunion urgente et exceptionnelle, au Pentagone, et conduits en jeeps au siège de la révolution militaire, les généraux qui se trouvaient à Athènes se virent exposer les raisons, les motifs et les objectifs du coup d'Etat.
L'amiral Afgheris ayant été arrêté parmi les tout premiers, les généraux Andriotis, Arbousis, Kotsadimas et Papadatos qui s'en tenaient à un ordre formel, signé ou verbal, du roi, se virent neutralisés et consignés dans des bureaux du Pentagone. En revanche, après quelques hésitations, le général Zoitakis, autre clé de la réussite ou de l'échec du mouvement, car commandant l'important IIIe corps d'armée de Salo­nique, se laissa finalement convaincre par le général Spandidakis et s'envola, afin de rejoindre son poste.
Certains évoquent le dialogue suivant entre un général et les chefs du putsch :
— D'accord, je marche avec vous, mais seulement si vous réussissez votre coup à Athènes.
— Entendu. Et si nous échouons, tu viendras nous fusiller, lui fut-il répondu.
Le général Spandidakis couvrant et patronnant le coup d'Etat, le brigadier Pattakos jetant dans la balance le poids de ses blindés, tout ne devait plus revenir qu'à une rude opération de police.
Les conjurés disposaient des tanks de Goudi et de Haidari, des commandos, les fameux Lok et de quelques unités d'infanterie triées sur le volet. Dès que le général Spandidakis couvrit l'opération, ils devaient disposer de la police militaire, des forces de police, de la police des ports, des gardes-frontières et des unités stationnées en province.
Il fallut neutraliser les evzones. Ces majestueux soldats qui constituaient la garde royale — une garde qui somnolait aux barrières du Louvre —, et qui posent si gentiment devant les touristes étrangers, furent cueillis dans leurs lits. De même, l'école des cadets, les evelpides, fut neutralisée par un commando de Lok, puis ralliée au mouvement.
D'autre part, alors que les blindés du brigadier Pattakos occupaient les positions stratégiques prévues par le plan Prométhée, les commandos s'emparaient des installations radiophoniques et des télécommunications. Depuis cinquante ans, le téléphone et le télé­graphe, puis la radio, constituent de redoutables obstacles à un coup d'Etat. Il convenait donc de les neutraliser, ce qui fut réalisé sans difficulté.
La préfecture de police étant occupée et collaborant, il ne restait plus qu'à quadriller la ville, boucler les sorties, contrôler les grands axes routiers, fermer les postes frontières. A trois heures du matin, tout était terminé.
La marine, surtout en Crète et à la base de Skaramanga, étant divisée, l'aviation, en dépit de quelques éléments participant au putsch, demeurant sur la réserve, ces deux armes furent mises hors d'état d'intervenir.
Une unité de chars, commandée par le frère du colonel Papadopoulos, avait isolé le roi dans son palais de Tatoï.

L'arrestation et la neutralisation des adversaires politiques, des ministres pouvant, comme le tenta Georges Rhallis, diriger une contre-action, et des gradés qui se refusaient à appuyer le coup d'Etat ne posèrent pas de problèmes. Brouillant les cartes afin de dérouter la population et tous ceux qui auraient pu réagir, les putschistes dosèrent très habilement les arrestations. Celles du secrétaire du roi, du président du Conseil et des ministres de la Défense nationale, de l'ordre public et de l'Intérieur, tous des personnalités de premier plan du camp nationaliste, avaient de quoi plonger la Grèce entière dans un abîme de réflexions.

Vers 8 h 30, le roi, qui s'était rendu au Pentagone, se trouva face aux militaires révoltés. De longues et âpres discussions devaient conduire, vers 16 heures, à la formule de compromis que représenta le gouvernement, en majorité composé de civils et présidé par un magistrat, Constantin Kollias.
Le coup était joué.

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