Chapitre I.
L'ITALIE
AU DÉBUT DE LA GRANDE GUERRE
Au moment où la guerre mondiale éclatait, l'Italie se trouvait dans une situation politique des plus difficiles; liée avec l'une des parties en guerre par un traité d'alliance; liée avec l'autre par des traités d'amitié ou par de traditionnelles affinités.
Avec les Empires Centraux, l'Italie avait signé, depuis 1882, ce traité de la Triple Alliance qui, plus ou moins accepté, correspondant plus ou moins aux aspiration nationales, n'en avait pas moins été, pendant de longues années, le pivot de sa politique.
Le pacte Prinetti-Barrère, conclu avec la France en 1902, avait stipulé que si la France venait à être l'objet d'une agression directe ou indirecte, l'Italie garderait une stricte neutralité.
Avec l'Angleterre, l'Italie avait eu de tout temps une communauté de vues et d'intérêts; le traité même de la Triple Alliance excluait toute intervention contre la Nation britannique.
Ce fut, au fond, l'Autriche elle-même, ou, pour mieux dire, l'imprévoyance de sa diplomatie qui permit à l'Italie de sortir de sa situation difficile, et de s'engager sur une voie non seulement juste et légale, mais plus conforme à ses propres intérêts.
Sans doute elle était l'alliée de l'Autriche et de l'Allemagne, mais en vertu d'un traité nettement défensif [1], dans la lettre et dans l'esprit; un traité qui ne l'engageait.que dans des éventualités données [2], et qui (justement pour sauvegarder les intérêts des deux parties) leur imposait l'obligation de « se consulter préalablement et réciproquement, avant d'engager n'importe quelle action susceptible d'apporter des modifications territoriales dans les Balkans » ; traité qui imposait pour tout changement territorial du « statu quo », des compensations réciproques qui devaient être préalablement déterminées.
L'Autriche délibérément passa outre à ces clauses. Parmi les nombreuses erreurs commises par les Empires Centraux, à l'heure décisive, il y en eut une, très grave, et peut-être même la principale; ce fut celle de négliger la préparation diplomatique, qui aurait pu faire prendre au conflit un aspect tout différent.
Des années ont passé; nous voici finalement libérés de cette atmosphère artificielle qui nous a été imposée par les nécessités de la guerre, et nous commençons enfin à étudier le dé-clanchement de la guerre mondiale avec plus d'objectivité.
Il est clair désormais qu'en effet l'Autriche n'avait pas tous les torts, en 1914, quand elle exigeait de la Serbie, exaltée par les agrandissements inespérés de 1911 et de 1913, un acte de renonciation définitive à ses visées vers une plus grande expansion, qui se fût réalisée au détriment de l'empire autrichien.
Après une série d'attentats, l'émotion fut portée à son comble par l'assassinat du prince héritier, dans lequel des personnes faisant partie du gouvernement, étaient certainement compromises, sinon le gouvernement serbe lui-même.
Les droits de l'Autriche à une réparation qui aurait dû dépasser les habituelles et inutiles déclarations verbales étaient donc évidents.
Cet épisode dramatique exploité par un Bismark ou par un Cavour aurait permis à l'Autriche de résoudre à son avantage et à son entière satisfaction le problème en question; avec des politiciens médiocres, aveuglés de préventions, cet épisode conduisit les Empires Centraux aux plus formidables fautes diplomatiques, à la fausse conviction que le conflit pouvait être localisé, à cet acte d'autorité brutale: l'ultimatum, évidemment inacceptable.
De telles prémisses nécessitaient, pour atteindre le résultat voulu, une action brusque et violente. C'est pourquoi l'ultimatum contre la Serbie fut rédigé et présenté en tenant délibérément l'Italie dans l'ignorance du fait pour éviter son opposition.
En effet, déjà en 1913, l'Italie, consultée à temps, s'était opposée à un semblable geste autrichien; elle avait notifié qu'une attaque autrichienne contre la Serbie ne pouvait en aucune façon être considérée comme un acte défensif;[3].
Mais l'Autriche devait supposer qu'en ayant caché à l'Italie cette grave mesure elle n'avait pas à « priori » à compter sur l'aide de son alliée. Pourquoi croire que l'Italie pût se trouver subitement contrainte de participer à un grave conflit, sans avoir été consultée auparavant, ni même avertie, et qu'elle acceptât les risques et les charges d'une lourde guerre sans qu'aucun de ses intérêts fût en jeu et sans y être obligée ni par l'esprit, ni par la lettre du traité?
Cette guerre était plutôt opposée à ses propres intérêts;
car tout développement de la puissance autrichienne, sans équivalent pour l'Italie, n'aurait pas été favorablement accueilli par ses nationaux.
Et comment faire accepter au peuple italien des sacrifices certains en faveur de l'Autriche, alors qu'il était blessé à cause des vexations que l'Autriche faisait supporter aux « irredenti » ?
Tout cela, le gouvernement autrichien ne pouvait l'ignorer bien qu'il voulut le faire croire.
La diplomatie autrichienne ne fut pas plus avisée sur la question des compensations, puisqu'elle refusa, dès le début, toute concession territoriale. Et ceci, tout au moins dans les premiers temps, bien que l'Allemagne eût déclaré partager l'interprétation italienne de l'article 7, et qu'elle fît pression sur non alliée pour que celle-ci adhérât, au moins en partie, au point de vue italien.
L'Autriche fut inébranlable, et son inutile entêtement mit peut-être en jeu son existence. Comme je l'ai déjà dit, ce fut elle-même qui nous offrit les moyens légaux de reprendre notre liberté d'action.
L'Italie était donc dans son droit, en s'abstenant de la lutte, et en restant neutre; les milieux officiels allemands eux-mêmes durent le reconnaître, bien que dans un but de propagande leurs journaux aient continué d'accuser l'Italie d'avoir manqué à ses engagements.
Pour l'Entente la déclaration de la neutralité italienne (l.er août 1914) était un avantage inappréciable. La France avait déjà mobilisé et mis en ligne à nos frontières l'Armée des Alpes; elle commençait à subir les premières défaites de la bataille der frontières, et les Allemands envahissaient son territoire, quand l'annonce officielle de la neutralité italienne permit au Commandement français de dégarnir presque entièrement la frontière italienne et d'envoyer ces troupes
contre l'envahisseur [4] .
« Ce fut un moment d'enthousiasme inénarrable, me disait un officier supérieur français ayant appartenu à l'armée des Alpes, que celui où nous arriva l'ordre de partir pour le Nord. Nous avions compris que l'Italie s'érait déclarée neutre; et tous s'écrièrent: «Vive l'Italie; vive la soeur latine....»
C'était le cri du coeur.
L' Entente eut un avantage plus grand encore : la neutralité italienne permit le transport sûr et rapide des troupes de l'Afrique du Nord.
Si l'on pense que dans les tous premiers jours la menace d'un seul croiseur allemand avait suffi pour arrêter les convois qui transportaient en France le 19-me corps d'armée, on imagine sans peine l'effet qu'aurait produit la présence de notre flotte au complet.
Un Anglais, Archibald Hurd, dans son livre « Italian sea-power and the great war »[5] affirma que la flotte italienne appuyée par la flotte autrichienne et par des navires allemands en Méditerranée aurait suffi à couper les communications françaises avec la Tunisie, et les communications anglaises avec 1' Egypte.
L'histoire de la guerre eût été tout autre. Enfin, au mois de février 1915 l'Italie mit son «veto» sur toute opération autrichienne dans les Balkans; elle empêchait ainsi l'opération austro-allemande que le Commandement projetait pour mettre hors des cause la Serbie et prendre contact avec la Turquie.
Grâce à l'Italie la Serbie fut sauvée pour cette fois; nous verrons que ce ne fut pas la dernière.
[1] Ludendorff écrivit dans son Mémorial du Milliard (décembre 1913) « La Triple Alliance est faible parce qu'elle est défensive ».
[2] Art. 3 : Si une ou deux des hautes parties contractantes, sans provocation directe ou indirecte de leur part, était assaillies.... le casus foederis se présenterait simultanément pour toutes les autres parties contractantes ». D'après Salandra, « La neutralità italiana », page 83.
[3] Déclaration de Giolitti à la Chambre des députés, 4 décembre 1913.
[4] Dans l'intéressant tableau synthétique: «La guerre terrestre» l'anglais Douglas Jerrold écrit: (pag. 4 de la traduction italienne, Turin-Schioppo) « La neutralité de l'Italie avait représenté un facteur vital dans la faillite de la première offensive allemande sur le front occidental ».
[5] La puissance navale italienne et la Grande Guerre.
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